Je me souviens… de ce livre d’Alain Guigny déniché il y a 20 ans dans la médiathèque de Lorient. Un tour de Bretagne, un Tro breiz, un pèlerinage qui relie les villes (Vannes/Quimper/St Pol de Léon/Tréguier/St Brieuc/St Malo/Dol de Bretagne) des sept saints fondateurs de la Bretagne (Patern/Corentin/Pol Aurélien/Tugdual/Brieuc/Malo/Sansom) . Plongé dans les lectures de voyages, d’itinérances, je trouvais une aventure au pas de ma porte. Chouette ! Il faudra la faire un jour…
Je me souviens… avoir lu cette légende qui disait que tout Breton qui fait le Tro Breiz est certain de gagner le Paradis. Par contre, ceux qui ne le font pas de leur vivant devront le faire après leur mort en avançant chaque année de la longueur de leur cercueil ! Oh la vache… ;-))
Je me souviens… avoir enfin trouvé la trace il y a quelques années sur ce topo. Beaucoup de kilomètres (plus de 600), beaucoup de routes… En marchant ce serait trop long,en courant trop pénible mais en vélo…
Je me souviens… du mail, en juillet dernier, de Benjamin (compagnon du Brevet 300) qui cherchait un off un peu funkie à faire à vélo avant l’hiver. Il me propose un brevet Audax 400 en Isère… Trop loin ! On cherche d’autres idées et je ressors ce topo guide de ma bibliothèque. L’orga est lancé avec pour objectif de s’aguerrir pour des expériences futures. On reprend alors le même principe : Navigation libre, sans assistance, pas de chrono mais un temps limite. Ce sera 40h pour 640 kil ! Trace strava
Je me souviens... du départ de Vannes dans le quartier historique. Les rues éclairées sont désertes. Mon cadre carbone vibre sur le pavé et dérange cette quiétude ! Il est 6h28. Je suis le premier. Je m’en inquiète. Puis arrive par la rue Billaud, Guillaume. Il est ultra traileur et a un UTMB, une PTL et quelques autres conneries à sa collection. Nous n’avons jamais roulé ensemble mais il a répondu avec enthousiasme à mon invitation. Par la rue opposée, deux autres loupiotes émergent. Benjamin est accompagné de Kevin. Lui c’est rollerman avec à son actif 581 kil de Roller au 24h du Mans, cette année (2nd place)… Une belle machine ! 6h30, nous voilà parti !
Je me souviens… de cette fin de nuit et ces prémices de jour au bout de 1h15, après St Anne d’Auray. Il fait froid, une brume blanche se lève des champs, le ciel est clair, on distingue encore le croissant fin de la lune et l’horizon commence à prendre une couleur orangée. Magique !
Je me souviens… de cet arrêt à La Trinité avant Melgven quelques heures plus tard en fin de matinée. On retire nos premières couches du matin. Le soleil commence à nous réchauffer. Le village est calme et beau. C’est un village parmi des milliers que nous avons traversé. Pourquoi celui là ?
Je me souviens… de tous ces troquets et boulangeries où tu rentres pour prendre un café, une viennoiserie et remplir tes bidons. Ta tenue et surtout ta démarche lente pour ne pas glisser sur le carrelage avec tes câles, interpellent souvent les habitués du comptoir. Tu deviens l’attraction du jour… surtout s’ ils te questionnent sur ton circuit ! Mais j’aime cette pause, cette ambiance.
Je me souviens… de cette traversée des Monts d’Arrée ce vendredi après midi. Entre Pleyben et Pleyber Christ, la trace passe par de belles routes vallonnées et calmes au milieu des landes et de la campagne. C’est ma Bretagne, celle que j’aime… pas celle que l’on vend aux touristes mais tant mieux ! 😉
Je me souviens... de ce tour de la baie de Morlaix en fin de journée pour aller décrocher la troisième ville du Tro Breiz => St Pol de Léon. Un aller sur les routes du semi de St Pol, un retour en bord de baie avec la nuit qui commence à tomber. La première fringale arrive aussi en approche du viaduc. Juste avant la fermeture du tabac presse près de l’Hôtel de Ville, je me jette sur 2 snickers… Ouf ! j’ai sauvé ma peau
Je me souviens… de la chaleur et de cette lumière en entrant chez Kevin puis François pour manger et dormir 4h. Le mot hospitalité prend alors tout son sens. On commence à faire le check up du corps : pas d’échauffement dans le cuissard ? Le dos ? la nuque ? Les genoux ? Les épaules ? Les poignets ? Les yeux ? Les heures passées sur la machine commencent à marquer le corps. On sort les crêmes…
Je me souviens… de Benji, la tête entre les mains dans la boulangerie de St Brieuc, le second matin. Il traine de mauvaises sensations depuis hier midi. Les roues sont difficiles à prendre, chaque montée brûlent les cuisses, il a pris froid… ” A quoi tu penses ? ” – ” A la gare la plus proche…”. La messe est dite. Il reste 280 kil à faire et 11h de temps. L’effort demandé est au dessus de ses forces ! Il nous quittera là…
Je me souviens… de ce coupe-gorge en arrivant à St Malo. Une longue route départementale très fréquentée, un barrage de la Rance en travaux laissant une bande de 1m de large pour les cyclistes entre voitures/camions et balustrades en ciment ! Chouette… La voiture règne en maître sur la bande asphaltée et dégage une incroyable violence par le bruit, la vitesse, les comportements. Etre cycliste dans ces lieux c’est être inconscient ou résistant… Je ne sais pas !
Je me souviens… de cette montée du Mont Dol au kil 517. La petite montagne qui donne un point de vue sur toute la baie de Cancale et permet de voir au loin le Mont St Michel. Et ce petit 18% qui permet d’accéder aux belvédères. Un col en plus dans ma besace… C’est aussi à partir de ce moment que nous commençons à repartir vers le sud et Vannes. çà devient bon.
Je me souviens… plus déjà du nom de toutes ces communes traversées. En plus de la trace GPS, nous avions fini par noter les bourgs par où nous passions pour utiliser au mieux la signalétique. J’avais également un réel plaisir à couper toutes ces grandes artères bretonnes que sont les RN. Combien de fois je suis passé par là en voiture ? Et là, j’étais de l’autre côté du grillage à une autre vitesse, dans une autre découverte mais au même endroit ! Sentiment de liberté…
Je me souviens… de cette décision à Dinan de quitter notre trace GPS pour rentrer ”au plus court”. Le choix des petites routes de campagne était jusque là intéressant mais par la navigation précise qu’elle nécessite (et nous n’étions pas précis ;-)), et le caractère de ces routes qui nous fait plus rouler en facteur chacun de notre côté que dans une véritable organisation, nous avons rajouté beaucoup de kilomètres et nous sommes dans des moyennes assez basses. le challenge des 40h n’est plus tenable surtout si nous finissons avec 700kil au compteur… Alors nous traçons une nouvelle route => Directe de jour jusqu’à Ploermel puis un peu rock &Roll de Nuit entre Ploermel et Vannes en cherchant des axes sud qui évitent la RN.
Je me souviens… donc bien de cette dernière nuit en approche de Vannes à la fois longue, silencieuse et douce. Je me souviens surtout de ce flash surréaliste lorsque sans aucun repère de lieux (à part nous dire que l’on file sud), nous traversons un bourg silencieux, illuminé. 2 hommes fument devant un bar aux lumières chaudes. L’autre côté de la route une brume se lève de l’étang. Nous passons entre les deux comme des oRni (objets roulants..) sans rompre ce silence, puis nous replongeons dans le noir presque instantanément en quittant le bourg. Nous étions à Montertelot…
Je me souviens… de cette arrivée dans Vannes au milieu des fêtards du samedi. Il est 22h, les rues sont moins silencieuses que lors de notre départ. On arrête les vélos, les chronos, les Gps, on se dit trois mots, des banalités, on se claque la bise et l’on se quitte… comme l’on a démarré… chacun prenant une rue différente. Kevin se souvient de.. ?. Guillaume se souvient de ..? . Benjamin se souvient de..? Ce chemin aura laissé en nous de belles choses. On a cueilli pendant presque 40h, y’a plus grands choses à nous dire derrière çà…
Je me souviens… reprendre ma voiture avec le sentiment d’avoir vécu un sacré truc. Rare, précieux, fun ! T’avoir été au bout d’une envie qui datait !
Je me souviens… du livre de Georges Pérec !
Photo de couverture : Les frères Pelissier – 1923