Nous démarrons cette rentrée avec un article “hors zone”. Celle dessinée à la craie blanche autour du banc de touche. Chaque week-end, nous vous regardons évoluer de cette zone et nous avons encore moins de marges de manoeuvres que Luis Enrique pour faire évoluer le cours des choses.
A vrai dire, nous regardons souvent ça de la tribune, et parfois c’est dur de tenir sur son siège. Aussi nous vous proposons un petit florilège des émotions/vécus des quinze derniers jours du mois d’aout vu par Yann, Diego et Chris ! Des émotions choisies parmi pleins d’autres.. un espace de 2 semaines dans les 52 de l’année.. juste un aperçu !
Cela devait être le grand jour
Chris – Mais ils ne sont pas sur la ligne de départ. Bordel ! ” Pas ça Zinédine. Pas ça Zinédine. Oh non. Oh non, pas ça. Pas aujourd’hui, pas maintenant, pas après tout ce que tu as fait...” Vous avez la ref ? Zinedine c’est Christophe qui se fout une écharde, grosse comme un tronc, dans l’orteil sur sa dernière sortie longue avant l’Echappée Belle.
C’est également Sylvain qui se coupe une phalange sur une machine outil le WE avant la CCC. C’est encore Lucie qui retrouve des réticences sur son pied après des mois de répits. C’est enfin Gwendal qui ne prend pas le départ du 100miles de Val d’Aran début juillet parce qu’un virus l’a saisi une semaine avant, mais qui explose le record du GRP fin août ! C’est Zinedine qui fera une grande carrière malgré cette finale de 2006 !
Le départ ne dit rien de la course
Diego – Cette année, j’avais décidé de me poster aux Chapieux parce que je voulais passer la tête de course UTMB ainsi que quelques-uns de nos athlètes Fartleck.. Minuit et demi, je suis en poste. C’est dantesque. Il pleut, le vent s’est levé, il neige apparemment en altitude, bref c’est chaotique. Maelle arrive, je la vois rentrer dans le ravito, elle traîne un peu par rapport aux autres coureurs, elle a le visage un peu serré. Mais comme beaucoup, vu les conditions. J’arrive à la chopper à la sortie du ravito et elle me dit :”J’ai envie de chialer”.
Alors, je lui donne quelques consignes rapides, la rassure et intérieurement je me dis : “il faut qu’elle passe la nuit, si elle y arrive, demain les conditions sont top et ca va tout changer. ” Et c’est ce qu’il se passe. Elle encaisse et reste solide. Et elle explose tout le lendemain. Une remontada stratosphérique jusqu’au top 5 UTMB.
Section Courmayeur – Cham : seule Ruth va plus vite qu’elle. Section Champex – Cham : elles font quasi le même temps. Bref, à minuit sous la pluie elle avait envie de pleurer. Le lendemain, elle volait. En ultra, une difficulté peut sembler te briser.. ou te préparer à briller.
La stratégie c’était de partir cool… La belle de surprise de Thibault sur l’Echappée Belle
Yann – On s’appelle la veille, on discute un peu du plan de course avec des temps de passage, tout en gardant de la marge. Je lui répète bien qu’il faut arriver frais au Pleynet pour entamer la nuit et le col du Moretan avec de l’énergie. Je ne doutais pas de sa course autour de 31h. Il était prêt, frais, et surtout il avait la niaque, motivé par le fait de courir « à la maison ».
Le matin, je me connecte au live avec mon café… et je vois déjà près de 40 minutes d’avance sur les temps prévus. Et ça continue, encore et encore, comme dirait Cabrel. En plus, il ne fait que remonter des places. J’ai dû déverrouiller 40 fois mon téléphone pour le suivre toute la journée ! Résultat : 29h15, 6e place. C’était génial à suivre. Il s’est laissé emporter par son énergie, tout en restant prudent.
C’était un jour avec, un jour où tout se déroule comme on ne l’a pas imaginé, c’est-à-dire au-dessus de ce qu’on pensait faire !
Devenir roseau
Diego – Même lieu, mêmes conditions, un peu plus tôt dans la nuit : Jean Adrien (JA) débarque aux Chapieux. Il est trempé, comme tous, son ravito est rapide et efficace. Il me voit à la sortie, vient me checker et je lui dit :
– Ca va JA ?
– Ca va trop bien !
Et il repart en direction du col de la Seigne. Hallucinant, tant son énergie contrastait avec le chaos autour. Pour lui, la suite fut plus compliquée une fois passée Courmayeur. D’abord,un bâton qui coince, puis une alimentation de plus en plus difficile et enfin les cannes qui saturent et se verrouillent complet.
On se dit alors que le plan change, mais que le combat continue, car l’objectif lui, n’a pas changer. Il faut rallier Chamonix.Il devient le roseau, il plie, mais ne rompt pas. Et il le fait, avec la même émotion que s’il avait coché son 24H, entouré de sa team.
A l’inverse de Maelle il n’a pas gagné des places, mais il a su y donner du sens. Sourire sous la pluie, résister dans la douleur et franchir Cham’ comme une victoire intérieure.
Ne jamais renoncer à ses rêves
Yann – Après deux DNF sur l’UTMB, cette année Christelle voulait préparer cette édition avec moi. Aussi, nous démarrons la prépa fin avril (un peu tard, mais on y va quand même). Les semaines passent, mais les doutes s’installent… L’UTMB reste l’UTMB. Nous échangeons beaucoup, nous parlons de la course, de ce que signifie rallier l’arrivée et peu importe le temps.
Malgré une première nuit où la montagne voulait montrer qu’elle était plus forte que les coureurs, Christelle a tenu : la 1ère nuit, puis le jour, puis la 2e nuit… Et le dimanche après-midi, elle franchit la ligne à Chamonix. Je scrutais le live et les caméras, cherchant un sourire ou une grimace. Mais j’y voyais surtout de la concentration. Et puis, à l’arrivée, une joie immense et une fierté légitime, après 46h d’effort.
Tout cela est inspirant. Parce que voir cet état de joie après 46h de course, et cette robustesse après une telle épopée, c’est beau.
J’ai aussi vu, derrière mon téléphone, de l’éclat, de l’engagement, de la résistance, de la joie surtout, et une sacrée force intérieure. Nous avons beau être loin, derrière nos écrans, ce métier je l’aime pour ces moments forts que l’on vit à travers le suivi.
Une réussite n’équilibre pas un échec
Chris – C’est notre quotidien, c’est mon métier depuis 15 ans. Je devrais prendre beaucoup plus de reculs avec ces DNF, ces courses moyennasses ou le trou dans la raquette à 15 kil de l’arrivée (Hein Mathieu !) mais je n’y arrive pas ! Alors, je fais les 100 pas, je réactualise 80 fois à l’heure le livetrail. Certes dans ce suivi, il y a 3 autres athlètes qui font leur course, où tout se passe bien, voir très bien… mais toute mon attention est portée sur les choses qui dévient !
Alors, je n’arrive plus à jouer au skijo avec ma fille ( et ça c’est grave 😉 et j’ai besoin d’informations. Bien sûr, je n’en ai pas et je dois attendre le verdict ! C’est très frustrant, usant pour ma vieille carcasse. Parfois je me dis que je pourrais abandonner ce métier un jour juste pour ces raisons : me ménager face à l’échec ! Je ne vous en veux jamais de me faire vivre ces moments ! Un DNF c’est souvent la bonne décision, la seule issue à une impasse gastrique ou de blessures.
Les jours, qui suivent, sont consacrés à ces courses. Pour comprendre, pour vous rassurer et pour me détendre un peu ! En conclusion, le jour de course c’est souvent le moment où l’on perd le fil de l’action avec vous. Avant, après nous sommes là. mais pendant, on ne sert plus à rien. C’est à mon sens la bonne posture mais bordel, c’est pas facile ! Allez on y retourne… Un épisode de Netflix ne se termine jamais sur un happy end mais plutôt une intrigue à résoudre pour le coup suivant 😉