Le yin et yang du trail…

Ce texte a servi d’introduction à une conférence organisée le 11 novembre 2023 à Baud (56) autour de la thématique ” S’entraîner en Bretagne pour performer en Bretagne” – J’avais l’honneur en tant qu’ambassadeur trail de la destination Coeur de Bretagne d’ouvrir cette conférence et j’ai écrit ce texte. Je le retranscris ici car je crois savoir qu’il a fait écho chez pas mal de personnes et j’ai eu également du plaisir à passer ce message qui me semble essentiel. Il convient juste à la lecture de ce texte de contextualiser les propos.


Si je vous dis, Notre Dame de la Gorge, Refuge Bonatti, Arnouvaz, Trient, Tête aux vents… vous me répondez ? 

Si je vous dis Mare à Boue, Cilaos, Marla, Roche plate, Chemin des Anglais, vous me dites ? 

Allez, un peu plus dur…

Si je vous dis Peyreleau, Saint André de Vezines, LeCade, Poncho D’agost, vous me dites ? 

Vous êtes forts !

C’est quand même incroyable que le nom de hameaux, petits villages ou d’un endroit avec trois cailloux et deux arbres à l’autre bout de la France ou de la planète nous soit aussi familier sans peut-être y avoir mis les pieds. Mais à vrai dire, et à bien réfléchir ce n’est pas si surprenant. Le trail est un sport qui a été porté par un marketing fort. Un marketing conjoint des marques de sport, des territoires et leurs équipes de développement touristique et enfin par l’ère des réseaux sociaux qui subliment, par des images bien choisies et à coup de filtres, des expériences de coureurs dans tous les massifs. Par ce biais et par des discours élaborés, le trail est un devenu un sport où l’imaginaire a une place de choix et où à chaque fois nous sommes au coeur de toutes les attentions. On prend les mêmes codes pour vendre un joli SUV allemand ou une participation à une compétition de trail, : L’évasion, la liberté, une belle nature, une expérience unique à vivre, nous sommes uniques, nous sommes des héros ! Et notre parcours et choix de compétitions nous classera socialement comme qu’en on achète une Dacia ou une Audi !

Nous avons usé aussi de cette stratégie pour vous faire venir ce soir à cette conférence… et a priori ça a bien fonctionné puisque la salle est comble : Près de 250 personnes

“S’entrainer en Bretagne pour performer en montagne” est le titre de cette conférence.. mais si nous avions fait cette conférence en Ile de France, nous aurions utilisé la même stratégie : Exporter votre condition vers l’extraordinaire !

“Performer en montagne” c’était la seconde partie du titre de cette conférence mais c’est à coup sur ce qui a éveillé l’ attention. Deux mots “obus” : Performer et Montagne. Une phrase pleine d’espérance, une promesse, une quête ? 

Je suis venu au trail au début des années 2000 pour cette motivation – Performer en Montagne. 

Performer car pour moi le sport ne pouvait se vivre que par ce prisme. Je débarquais du cross, de l’athlé, de la route où tout se mesurait : place , chrono, temps de passage, hiérarchie par championnat. Et l’idée était bien de remettre de litres de sueurs et un engagement total pour faire la même chose en trail. J’ignorais à l’époque un autre pouvoir du trail dans la performance : Finir la course est une performance – La distance accomplie sublime cette performance. J’ai rapidement remarqué que j’intéressais dans cette nouvelle pratique un spectre bien plus large de personnes que quand je m’efforçais de faire moins de 8’30 sur un 3000m sur tartan ou un top 80 au France de cross. La performance devenait plus accessible et plus remarquable ! Facile comme chemin 😉

Et puis il y avait le mot montagne... Je suis venu au trail pour vivre la montagne, pour la découvrir. J’ai été certainement nourri dans mon enfance par les dessins animés d”Heidi, de Belle et Sébastien et plus surement par les étapes du tour de France en montagne, quelques récits d’alpinistes.. Pourtant quand j’ai démarré le trail, je ne connaissais rien de la montagne mais elle a eu un pouvoir d’attraction terrible pour moi juste par l’imaginaire qu’elle déployait et je vois bien chaque jour, dans mon travail d’entraineur, que je ne suis pas un cas isolé. 

Alors vous imaginez bien que Performer en trail est le combo parfait pour se stimuler, rêver, avoir un objectif et être reconnu pour ce que l’on fait ! C’est une bombe…Je vous le dis d’autant plus que je crois avoir “réussi à performer en montagne” à ma manière et qu’elle a failli me sauter au visage à trop chercher cette quête !

Maintenant, si je vous dis, Manéguen, Lande du Crano, Goh Menhir, Quelven, chemin des Biquettes… Vous me répondez ?

Si je vous dis Gorge de Toul goulic, du Corong, Locuon , landes de Lann Bern ou Menez Mikel vous me dites… 

Rassurez vous si il y a eu plus d’hésitations… Même les scientifiques comprennent mieux l’organisation de l’univers que la vie microbienne du sol sous leurs pieds !!!

S’entrainer en Bretagne c’est la première partie du titre de cette conférence. C’est notre condition humaine et convenons qu’elle n’est pas mauvaise. Nous vivons sur ce territoire au quotidien et si nous voulons répondre à la seconde partie de la phrase, il faut bien s’entrainer en Bretagne. 95% de notre temps d’activité sportif chaque année se passera ici, autour de chez nous. 

J’ai mené mon parcours de traileur de cette façon en ayant les yeux vers la montagne et les pieds inscrits dans les vallées autour de Bubry, Melrand, Quistinic dans les bosses du Faouet, sur le chemin de halage du Blavet … et les roues du vélo qui écument les petites routes de ce centre-Bretagne. 

S’entrainer en Bretagne c’est l’arrière salle du spectacle. Il y a moins de gens à nous suivre dans nos aventures quand nous répétons nos gammes par tous les temps. Nous sommes même souvent seuls. 

J’ai longtemps sous-estimé l’importance qu’avait dans ma vie cette confrontation avec l’ordinaire, le connu, la solitude, le tour dans le bois derrière chez moi 5 à 6 fois par semaine dans les meilleures périodes.

J’ai remarqué cette chance d’être debout et vivant quand j’ai été blessé, quand on nous a interdit l’accès à ces lieux pour crise sanitaire ou dégâts après une tempête (Ciara est passé 10 jours auparavant)… A bien y réfléchir, on croit pouvoir atteindre le bonheur en regardant vers les montagnes alors qu’en réalité on l’a notre chance…ici, là, maintenant ! S’entrainer en Bretagne c’est ce qui nous restera quand nous aurons consommé tout le reste.. Assurément

Alors ce soir c’est une conférence sur la dualité 

S’entrainer en Bretagne pour performer en montagne c’est

Faire et rêver

C’est l’ordinaire et l’extraordinaire

C’est le proche et le lointain

C’est l’intime et le visible

C’est s’imprégner d’un lieu ou traverser un paysage

C’est le chemin et la destination

C’est la sobriété et la débauche de moyens

C’est enfin pour paraphraser Sylvain Tesson

se perdre dans la géographie ou vouloir rentrer dans l’histoire. 

“S’entrainer en Bretagne pour performer en montagne” ce ne n’est pas l’un au service de l’autre. 

C’est le Yin et le Yang d’une pratique du traileur. Ce sont deux forces opposées mais complémentaires et notre pratique n’est soutenable que si l’on nourrit les deux de manière équilibrée.

Christophe